Outre-terre by Jean-Paul Kauffmann

Outre-terre by Jean-Paul Kauffmann

Auteur:Jean-Paul Kauffmann [Kauffmann, Jean-Paul]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Histoire
Publié: 2016-02-04T23:00:00+00:00


Le message du Roi des Aulnes

Des exercices vont avoir lieu cet après-midi sur le site de la bataille avant la grande reconstitution de demain. Ce matin, quartier libre. Nous quittons notre hôtel à l’architecture indéfinissable, ni franchement kitsch ni vraiment moderne, en vérité très ultraterrienne dans son refus de choisir. Nous en profitons pour partir de bon matin visiter Pravdinsk, l’ancienne Friedland située à une quinzaine de kilomètres d’Eylau.

Le musée consacré à la victoire de Napoléon remportée le 14 juin 1807 est visité au pas de charge. Pour les Russes foudroyés à bout portant par l’artillerie française, on peut parler de « boucherie de Friedland » : près de sept mille morts. Les combats se prolongèrent jusqu’à vingt-deux heures. Le général Paulin a décrit « les épouvantables brèches ouvertes dans les rangs adverses ». Il ajoute : « Cette destruction, au milieu des teintes rouges du crépuscule qui se prolongeait si longtemps, m’a profondément frappé. »

La bataille de Friedland est l’avers de la campagne de 1807, sa face éclatante, Eylau en est le côté sombre, disgracieux. Napoléon pense que l’un fera définitivement oublier l’autre. Il finira par s’en convaincre, mais le spectre reviendra le hanter dans les dernières années de sa vie. Victoire tout aussi complète et magistrale qu’Austerlitz ou Iéna, Friedland s’est fait néanmoins supplanter par Eylau. Mon guide Baedeker signale Eylau mais ignore Friedland. Après Friedland, c’est la paix de Tilsit. La rencontre des deux empereurs sur le radeau au milieu du Niémen. L’Empire au nadir. Jamais Napoléon ne retrouvera un tel sentiment d’euphorie. C’est quand on a gagné que les ennuis commencent. Napoléon ne craint plus personne. Ce sentiment de toute-puissance va le précipiter dans le traquenard espagnol, la première grande faute du règne. Il va sous-estimer la résolution de la population comme il ne saura pas plus tard mesurer l’esprit patriotique du peuple russe. 1807 est une date charnière. Tout semble lui réussir même si Eylau fait tache. Une rature dans le récit fabuleux.

À Sainte-Hélène, il confiera que c’est à Tilsit qu’il a été le plus heureux : « Je venais d’éprouver des vicissitudes, des soucis, à Eylau, entre autres. » Admirons le sens de la litote dont il fait preuve quand il évoque cette bataille : « des vicissitudes », « des soucis », et surtout ce « entre autres » particulièrement fumeux. Ce flou n’est pas dans ses habitudes.

Pravdinsk possède plus de charme que Bagrationovsk – ce n’est pas difficile – mais l’impression de dépaysement est la même. De mon premier voyage, je garde le souvenir d’une route pavée de l’époque allemande avec ses alignements de vieux tilleuls. Il ne manquait plus qu’un de ces troupeaux d’oies traversant la chaussée, un chromo de l’Ostpreussen. Une délicieuse impression de flottement, un étirement dans le temps. J’aurais aimé que cet état de suspension durât. J’arrivais à Friedland : une vieille église de briques rouges se mirant dans un étang entouré d’aulnes, un village à la douceur un peu alanguie d’un Corot. Même état d’incertitude qu’à Eylau. Un écart dans l’espace.



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